Livres marquants

www.la-galerie.ch - Jon Ferguson - TE fous pas de moi papa

Par Christophe Passer

 

Jon Ferguson signe un drôle de court récit à la fois initiatique et testamentaire. Une réussite émouvante.

 

Jon Ferguson a dans l’écriture cette émotion forte des gens qui aimeraient ne pas passer pour des sentimentaux. Il y a une sensibilité Ferguson. Elle est peut-être ce qui demeure de plus américain en lui: une sorte de lucidité qui ne se paierait pas de mots, mais n’hésiterait jamais à aller au-devant de la tendresse. Te fous pas de moi papa, son nouveau livre, raconte à la première personne quelques moments clés d’une jeune fille de 16 ans d’aujourd’hui. Elle s’appelle Laura Jezabelle Winger, née aux alentours d’Oakland (où Ferguson naquit lui-même il y a soixante-trois ans), et vit en Suisse avec son daddy. Sa mère est morte quand elle avait 8 ans. Elle raconte que lorsque son père lui disait qu’elle était au paradis, elle ne le croyait pas. C’est ainsi que lui vint ce «te fous pas de moi papa», demeuré au cœur de leur relation.

 

Elle raconte leur reconstruction, voyages, une façon de se tenir l’un à l’autre. Elle raconte l’école, elle dit la vie, les amours. Elle le fait avec une fausse désinvolture, un sens du paradoxe miraculeux, un goût pour la philosophie: on dirait, encore, qu’on parle de Jon Ferguson lui-même. Parce que tout est prétexte à digression heureuse: l’éducation, l’enfance, le sens de la vie, la vérité ou le hasard, la stupidité ordinaire mais pardonnée. C’est le talent de ce court récit: vous prendre à revers, transformant ce qui sonne au début comme un texte initiatique en conte sur l’existence et sa beauté aventureuse. C’est élégant comme au basket, quand un tir a sa courbe juste, file vers le panier dans un frottement d’air, et ça ne demande pas d’explication. Ferguson, en une préface émouvante, dédie notamment ce texte aux élèves croisés durant trente-huit ans d’enseignement à Lausanne. A le lire, on se dit que ces jeunes gens ont eu de la chance.